où il est question d’un perroquet et d’une agonisante

La chambre dans laquelle pénétra le commissaire ne faisait guère plus de dix mètres carrés, coin lavabo compris, pièce aux murs blancs principalement occupée par un de ces lits de fer comme on en trouve dans les hôpitaux, et une commode sur laquelle trônait un perroquet empaillé – l’une des ailes était cassée et de l’étoupe sortait du ventre du volatile – souvenir du temps où Félicité servait chez monsieur et madame de la Bôle, cadeau que le marquis avait ramené de l’une de ses missions en Amérique du sud, du temps glorieux où il était ambassadeur itinérant et que, ne sachant que faire de cet animal que madame la marquise sortie deux jours plus tôt aux environs de dix-sept heures avait en horreur, il offrit, ne pouvant se résoudre à lui tordre le cou ou à l’abandonner dans un jardin public, à cette domestique pas bien futée qui, un quart de siècle durant, conversa chaque soir avec l’animal dans sa chambre de bonne, lui confiant les potins entendus au marché et déroulant la litanie des humiliations subies au cours de la journée, trouvant dans les quelques mots d’Espagnol qu’avait appris l’aras outre Atlantique – car c’était d’un aras qu’il s’agissait – un semblant de réconfort susceptible d’apaiser la solitude et la douleur de ce cœur simple. C’est du moins ce que le commissaire se vit confier par Alfonsi après que, s’étant prestement dissimulé derrière la porte qu’ouvrait Lognon, et ayant saisi l’arme qui ne le quittait plus depuis que le marquis de la Bôle avait eu recours à ses services au sujet de ce mystérieux collectif Burma, il se soit apprêté à assommer d’un furieux coup de crosse l’intrus dont il avait perçu la cavalcade précipitée dans le couloir – bruit ô combien suspect dans un lieu où alternaient frottement des Charentaises qui se traînent sur le linoléum et bruit sourd des déambulateurs – quand, reconnaissant la silhouette du commissaire, il retint son geste et toussota afin de signaler sa présence. « Décidément, Alfonsi, nos chemins, en ce moment, se croisent un peu trop souvent à mon goût… Un conseil : n’essayez surtout pas de me doubler !… Elle a parlé ? » C’est alors que le privé à la triste allure évoqua l’origine du volatile et les liens affectifs qu’entretenaient avec lui Félicité. Une information bien mince, dont l’homme à l’épatant appendice ne pouvait se contenter. Aussi s’approcha-t-il du lit à pas feutrés, et, se penchant doucement vers la vieille femme, lui demanda d’une voix qu’il qualifia de voix de circonstance, quand, quelques heures plus tard, il raconta la scène au grand patron qui l’avait convoqué dans son bureau : « Madame, vous m’entendez ? » Les yeux de Félicité semblaient fixés sur un point du plafond, pourtant, comme les murs, uniformément blancs. « Vous pouvez parler ? » Un râle, de plus en plus précipité, lui soulevait les côtes. Des bouillons d’écume venaient aux coins de sa bouche, et tout son corps tremblait. C’est alors que l’ancienne domestique, maintenant à l’agonie, se saisit du bras de Lognon, le serrant de toutes ses dernières forces : « Pardonnez-moi, je croyais que c’était vous qui l’aviez tué ! » Ses lèvres souriaient. Alfonsi, étonné par le propos qu’il venait d’entendre, s’approcha du lit, l’air interrogateur. « Allons, Alfonsi ! Elle n’a plus sa tête, vous voyez bien ! » Félicité, dans un dernier effort, se retourna vers la commode. Puis, lentement, les battements de son cœur ralentirent, et le petit corps menu se recroquevilla sous les draps blancs.

Une Réponse to “où il est question d’un perroquet et d’une agonisante”

  1. […] oublié, ombre parmi les ombres. Peut-être à l’heure qu’il est est-il en train d’interroger Félicité pour qu’elle lui dise enfin qui donc avait été tué. Aviez-vous deviné que Félicité […]

Laisser un commentaire