où Lognon cause et la marquise le suit

Si, pas plus tard que la veille, il avait suffi à la marquise, pour échapper à son ennui (c’est ainsi qu’Emma avait coutume de nommer ses vertiges existentiels qui eux-mêmes, comme on peut raisonnablement le penser, ne faisaient que masquer d’un voile pudique quelques pulsions érotiques mal assumées) de franchir le seuil de son appartement aux environs de dix-sept heures, il lui était en revanche impossible d’échapper au discours généalogique du commissaire Lognon qui, profitant du répit que lui accordait son épatant appendice nasal, et croyant déceler dans le silence poli et les hochements de tête de son interlocutrice, si ce n’était un intérêt passionné, du moins des signes d’encouragement à poursuivre, commençait maintenant le portrait élogieux de son oncle Édouard, homme d’une grande humanité, inventeur génial même si, il faut bien l’avouer, ses activités ne lui rapportèrent jamais grand-chose, semblant à peine remarquer la présence du petit homme en blouse blanche qui les accueillait dans cette grande salle carrelée de blanc et rendue définitivement blafarde et sinistre par son éclairage au néon, se lançant dans le récit d’un souvenir tellement marquant pour lui, exemple parfait du rôle si déterminant que l’oncle Dédé avait joué dans sa destinée et, plus largement, dans la vision qu’il s’était forgée des hommes et de la vie en général, l’un des ces moments-clés de l’enfance, ou, comme on dirait de nos jours, de la pré adolescence, ajoutait-il lorsque, à peine la main poilue du petit homme qui les avait accueillis, après avoir fait coulisser l’un des sinistres tiroirs dont il avait la charge, retirait le drap blanc dont l’administration judiciaire recouvrait les cadavres qu’on lui confiait, la marquise, soudainement d’une pâleur extrême, se saisit de la main du commissaire, chancelante, geste et attitude qui, tout de même, parvinrent à faire taire Lognon,celui-ci restant soudain bouche bée, réalisant que cette femme qui jusqu’alors l’écoutait allait s’effondrer, cette femme dont les yeux écarquillés et rivés sur cette main poilue aux doigts boudinés, main droite dont l’annulaire orné d’une chevalière, chevalière en or, de gros doigts boudinés, mauvais goût populaire, ces gros bijoux mal taillés, André, cette bague aux armoiries, non, cette main, cette femme qui, vous l’aurez remarqué, n’avait déjà plus les idées très bien en place, femme à la main moite et au front pâle, femme dont les jambes molles ne tarderaient pas à définitivement se dérober, ne pouvant supporter plus longtemps le spectacle qui s’offrait à son regard, femme inconsciente qui déjà s’abandonnait aux bras de Lognon, au moment même où celui-ci, pris d’un irrépressible frémissement nasal dont il connaissait l’inévitable issue, allait lâcher l’un de ses éternuements homériques dont il était coutumier, éternuement qui n’eut pour seules conséquences, rassurez-vous lecteur, que de faire s’agiter brièvement une mèche des longs cheveux bruns de Vanessa.

6 Réponses to “où Lognon cause et la marquise le suit”

  1. « semblant à peine remarqueR » (je dis ça juste parce qu’il faut attendre le dernier mot pour qu’enfin cesse le tourment…) (faire taire Lognon : je ne sais pas, mais il me semble lire là quelque chose comme une contre-pétrie, mais je n’arrive pas à mettre l’esprit dessus…) (ou alors n’est-ce que poésie ?) (ahahah) (avec un nom pareil je trouve qu’il ferait mieux de pleurer) (c’est Yéyé qui va être content quand il saura que sa gymnastique -malicieuse ?- ainsi que son organe qui fait sa fierté lorsqu’il s’établit en position haute pour elle ne sont qu’échappatoire à l’ennui de madame la marquise, la vache !) (des fois, les femmes, je vous jure) (pour ce commissaire, mes recherches prénominiacles m’ont conduit jusqu’au Bouthan, où on dénombre – preuve à l’appui : les registres en triple pelure de l’une des trois mairies de Phuntsholing -limitrophe, je le reconnais, de l’Inde – on y dénombre donc trois – je dis 3- Lassoupah… c’est tangent, mais délicieux, vers six du mat) (au Bouthan, tout va par trois, vous l’aurez noté) (Dédé c’est le décapité marquis au volant de la Bentley, l’oncle à Lognon c’est Doudou non ? j’ai dis une connerie ou?) (ça ne m’étonne pas que le petit hargneux à blouse blanche dans la salle blanche carrelée ait les mains poilues, c’est bien son style, à cette enflure)

  2. Très intéressante piste (d’ailleurs il n’y a pas de route au Bouthan, sinon les trois qui relient la capitale aux trois chef-lieux de régions (ils ont des noms pour ça) (renseignements pris, il semble que le commissaire ait laissé sur place un trace – hors mariage- de son passage sur la route de la croisière jaune – faut que je me renseigne sur ce fait là – mais ce qui est indéniable c’est qu’il a là-bas un fils illégitime qui porte le prénom bouthanais le plus usité, hymalayen en diable, Tartal) (non sinon, ça va l’auteur ?) (sûr que Lognon n’a pas épousé une normande, une certaine Ginette Lacrême ? Auquel cas le fils illégitime peut aussi s’amuser avec sa belle mère…?)

  3. […] les épisodes précédents: où Lognon cause et la marquise le suit (20 janvier) et où le lecteur est initié à l’art de la filature (21 […]

  4. […] je sais Lognon… la morgue !… c’est de ça que vous voulez parler !… bien sûr, le corps de Vanessa à l’institut médico-légal, macchabée allongé dans un tiroir et maintenant pendue à mon bras, et bien vivante, ça je peux […]

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